L'ambition de cette contribution est de démontrer la pertinence des travaux autour du care pour appréhender les liens entre l'agriculture et l'alimentation. En s'appuyant sur l'idée d'une vulnérabilité partagée qui engage à « prendre soin », il est possible d'imaginer un processus qui relie des pratiques à la qualité de la santé à celle de l'environnement au travers d'efforts à consentir et de nouvelles solidarités. L'affirmation d'une valeur One Health dans le système alimentaire peut se conjuguer avec un objectif de démocratie alimentaire de sorte que les deux se déclinent autour d'une fonction informationnelle pour prendre conscience (caring about), une fonction (responsabilité) relationnelle (care recieving et taking care of) afin d'agir éthique (care giving).

Notre contribution se base sur l'idée de connexion et de liens pour introduire une réflexion autour d'un système alimentaire care. Nous nous appuierons sur les liens entre agriculture et alimentation pour penser care le système alimentaire en interrogeant la dépendance (la vulnérabilité) des uns et des autres. La question éthique est : par qui et comment nos besoins alimentaires sont satisfaits. Aussi, nous émettons l'hypothèse que l'un des défis de la transition agricole réside dans la capacité à recréer des liens avec le vivant. L'approche One Health peut constituer une opportunité pour penser systémique et global. Nous montrerons que, pour aborder les pratiques agricoles et alimentaires, il y a nécessité de passer d'une situation en tension entre liberté et dépendance à celui d'une émancipation accompagnée.

Sur le plan méthodologique, cette contribution prend appui sur une étude de terrain ethnographique menée auprès de 139 acteurs du monde agricole du Grand Est (dont la moitié de jeunes en formation dans des lycées agricoles). L'objectif visait à construire, déconstruire et reconstruire ce que « transitionner » veut dire. Les récits témoignent ainsi de pratiques et de savoir-faire développés en cohérence avec le care, avec une dimension sensible très forte en lien avec la préservation de la nature. Le sentiment de « devoir protéger » pour transmettre engage moralement : le passage à une autre façon de faire est entrevu comme une responsabilité relationnelle. Il s'agit alors de relier les travaux du care à la notion de système alimentaire sous l'angle des discours mises en œuvre afin de révéler des pratiques dans lesquelles les acteurs se sentent « concernés » et développent des actions en cohérence avec ce système alimentaire.